Il y a des livres qu’on ne veut pas refermer avant le mot fin. Pour moi, Les yeux de Pierre font partie de ceux-là. Fort heureusement, j’avais pensé à le glisser dans mon sac avant d’aller prendre un train. Et où est-on mieux que dans un train pour lire sans être dérangé ?
La plupart des livres racontent une histoire, d’autres prennent appui sur une histoire pour en raconter une autre. Comme il y a la “sous-conversation” chez Nathalie Sarraute, je dirais qu’il y a chez Nadine Lamaison une “sous-narration” et que c’est cela, pour moi, le plus intéressant dans sa recherche et sa production littéraire.
Parlons du livre.
Pierre est un garçon et ses yeux sont bleus.
Avant de tenir le livre en main, j’avais compris qu’il s’agissait d’yeux de pierre. Et j’étais bien sûre de mon fait puisque je savais que Grégoire, le père de cette histoire, est maçon. Mon inconscient avait fait quelques tours et détours par Antibes, Audiberti, retour par Nougaro : Jaques Audiberti, dites-moi que faire pour que le maçon chante mes chansons, arrivée chez Nadine Lamaison : les yeux de pierre ; la pierre qui regarde, témoin silencieux de l’Histoire et des histoires.
Pierre est un garçon et ses yeux sont bleus. Certes ! Diantre !! Diable !!! Si vous l’dites. Mais je n’y crois toujours pas. Je suis rentrée dans le livre avec la pierre et j’en suis sortie plus convaincue encore. Nadine Lamaison voulait me jouer un tour, mais ça n’a pas fonctionné. Et tant mieux, car je crois que c’est ainsi et pas autrement que son tour est réussi !
Quatre heures durant, j’ai lu des mots en entendant une autre histoire.
Dans les mots, il y a du temps qui s’écoule, des mois, des saisons ; dans l’histoire que j’ai lue, il n’y a qu’un jour, un long dimanche…, un jour qui ne finit que pour exploser. Une explosion préfigurant celle de la guerre 39-45 qui éclate dans les dernières lignes.
Dans les mots il y a des gens, toute une famille, mais dans l’histoire, il n’y a qu’un seul corps, grouillant de vie ou de vermine, on ne sait pas.
Dans les mots, il y a des peuples (français, italien, allemand, algérien…). Dans l’histoire, il n’y a qu’une seule humanité et plus précisément il n’y a que le peuple, les ouvriers et leur force physique, leur soif de vin, les femmes avec leurs corvées, leurs corps désirants-désirés, leurs corps, rien que des corps d’enfants, de poupées, d’animaux de ferme, animaux sacrifiés, prélude à la nouvelle boucherie organisée qui avance et qui va faire tout péter.
Et le style, demandez-vous ?
Hypnotique. Comme une musique répétitive, une goutte d’eau qui finit par déchirer notre silence intérieur. À quoi est-ce dû ? Au rythme, je crois. Pas au rythme de la phrase elle-même, mais plutôt à celui du regard, du déplacement du regard de l’auteur comme un balancier, et aussi à sa direction d’orchestre.
Je n’en dirai pas plus au risque d’en dire trop.
Place au livre.
Les yeux de Pierre, Nadine Lamaison – Edition Publibook – ISBN 978-2-7483-0105-2 – 200 pages – 16€77.
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