Le souffle qui nous parcourt à la lecture de Big Jim vient des entrailles de la terre et des racines de l’humanité.
Un golem ébroue la tourbe et l’on ne sait si la réalité poindra au bout des phrases ou si la folie s’est déjà emparée de nous. Les mots nous livrent les rouages dès le premier paragraphe. Le frisson nous est donné et ne nous lâchera plus.
Car le voyage que nous allons faire est celui de la perdition, des ciels noirs, mais aussi de l’écume et du brouillard qui se dissipe. Et pas seulement sur cette terre d’eau et de falaises que l’auteur pourrait réciter du bout des doigts, les yeux fermés, mais à l’intérieur de nos chairs et de notre vacuité.
Big Jim récure son âme autant que son corps. Et nous ressentons nos propres plaies. Il cherche sa mémoire, hors du temps et de l’espace : « Ils étaient là mais auraient pu se trouver à dix mille kilomètres, il y a dix mille ans ». Et cependant le temps s’accroche (et nous accroche) aux éléments, aux mouvements du jour et à toutes les turpitudes d’une nature incisive, éclatante, hostile, qui ne peut être que là, en Irlande, entre les falaises et la mer, la tourbe et les marais. Le monde y est raviné comme à l’intérieur de ceux qui ont perdu le cap. Ceux que l’on croise, Angus, P,atrick, Ryan, O Mahoney… êtres abrupts et cabossés comme leurs véhicules, mais qui ont un langage de poètes.
Nous restons collés à Big Jim, quel que soit son nom. Il a des rochers dans la tête et sous ses pieds. Il vit dans une brume qui est celle des amnésiques par désolation. Qui n’a pas connu la désolation ?
Guilhem Cadou nous tire dans un roman viril, « une faille spatio-temporelle. Un moment égaré… au nez d’un monde convulsif ». Rien n’est réel, tout est pertinent. « N’oublie pas le vent « !
Entre la minéralité rugueuse de sa quête et la furie de la mer en écho, Big Jim est un homme embué par l’alcool et les rêves, contaminé par l’appel des grands espaces, celui de la littérature américaine, un homme qui grimpe vers les vertiges et se sent « à la hauteur » quand il est au ras du sol. Aucune tiédeur dans ce roman, tout est Absolu, y compris l’amour. Les femmes y sont vibrantes et belles.
La force de Big Jim est aussi dans la forme choisie par l’auteur, la permissivité, la profusion des images et des mots, l’absence de diktats. Il y a une jubilation à l’écriture qui nous pousse à mieux regarder autour et à l’intérieur de nous. La plume de Guilhem Cadou se glisse entre les eaux fortes de Soulages et les arcs-en-ciel de Turner.
Nous allons, avec Big Jim, de la tourbe aux gentianes, le coeur rouge et les sens exacerbés.
Aux Editions Les Presses Littéraires
https://livre.fnac.com/a13458387/Guilhem-Cadou-Big-Jim
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